Ault, « la lecture des pierres »
Avec Eleonora Schiavi
Projet en cours
Territoire : Ault, littoral des Hauts de France
« Je parle des pierres plus âgées que la vie et qui demeurent après elle sur les planètes refroidies, quand elles ont eu la fortune d’y éclore. Je parle des pierres qui n’ont même pas à attendre la mort et qui n’ont rien à faire que laisser glisser sur leur surface le sable, l’averse ou le ressac, la tempête, le temps. »
Roger Caillois, Pierres, 1966
A Ault, le sol disparaît. Les habitants perdent pieds.
Le trait de côte devient mouvant et ses oscillations menacent les installations humaines. A mesure que les falaises s’effritent, ceux qui y vivent perdent leur ancrage au territoire et deviennent des âmes errantes. Ils ne sont qu’une infime partie d’un système qui fonctionne à grande échelle, un espace-temps géographique dans lequel peinent à s’inscrire les histoires humaines individuelles. Les pans effondrés de falaise libèrent la craie, qui se dilue dans la mer et lui donne sa couleur particulière. La falaise émiettée décharge aussi ses rognons de silex, accidents siliceux, qui, roulés par la houle, se transforment en galets rond et gris qui commencent leur migration pour finir piégés sur les plages et dans l’estran. Spectateurs impuissants, les aultois partent quand même à la recherche de ces galets précieux pour protéger leur côte dont les stocks s’amenuisent et dont le transit est modifié.
Malgré les tentatives de recharger en sédiment, pour fixer cette ligne instable et pour maintenir la géomorphologie actuelle du littoral, des pans entiers de falaise tombent. Les rumeurs enflent avec le vent. On entend souffler par jour de tempêtes ou à certaines heures de la marée que 80 maisons seraient menacées du bois de Cise à Onival en passant par Ault. La planification de la disparition des constructions sur la falaise cristallise une lutte sociale, économique, écologique et politique.
Le village est un territoire en lutte.
Récit
Quelque chose, en effet, résiste à cet effet d’effacement et de rupture. On entend d’autres voies éclore au pied de la falaise. Des femmes, les glaneuses, y ramassent des cailloux. Elles fouillent de leur mains les amas de galets comme si elles voyageaient dans le cosmos. Elles manipulent les temporalités, font rouler les récits les uns contre les autres à la recherche de ceux qui ouvriraient sur un temps potentiel. Pour elle, ces pierres ne sont pas un matériau inerte, pas seulement un outil contre l’érosion. Ces pierres sont la manifestation des phénomènes invisibles, elles referment l’histoire du lieu et deviennent, de cette façon, aussi vastes que le monde qu’elle renferme. A l’intérieur sont verrouillés des signes, boussoles dans l’illisible chaos du paysage en mutation. Quelles sont ces voix ? à qui elle donnent corps ? Est-ce un cri qui alarme ou la promesse d’un monde nouveau ?